Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Michelle Tirone, Insoumise

Militante insoumise, ce blog complète mon compte Facebook et ma chaîne Youtube. J'essaie d'y décrypter l'actualité et je vais y inclure des définitions, des pensées, des critiques, enfin tout ce qui a un rapport avec la vie sociale et politique...

Le "bon profil" pour être invité sur BFMTV. Récit d'un professeur.

Je tenais à publier, avec son autorisation, le témoignage de Marc Rosmini, professeur de philosophie à Marseille. Marc Rosmini précise qu'il ne milite dans aucun parti ni aucune formation politique. 
Vous pouvez retrouver la publication d'origine
sur son compte Facebook 

Je voudrais relater une anecdote, un peu ancienne mais assez intéressante en ce qui concerne le fonctionnement de certains médias. Il s'agit d'un coup de téléphone que m'a passé une journaliste de BFMTV juste après l'assassinat de Samuel Paty. Je vais tenter d'en rendre compte le plus fidèlement possible (ça devrait être facile, j'ai souvent raconté cette histoire de vive voix).

La journaliste me présente d'abord le contexte : « Nous préparons pour BFMTV un reportage sur les problèmes posés à l'école par la montée de l'islamisme. Nous voudrions vous interviewer, afin de garder quelques moments de l'entretien au montage. Seriez-vous d'accord pour nous parler des difficultés que vous rencontrez avec vos élèves musulmans ? »

Je lui réponds alors que sa question, telle qu'elle est formulée, me pose problème, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, je lui rappelle qu'en France l'Etat n'a pas le droit de faire des statistiques sur l'appartenance religieuse des élèves, et que par conséquent je ne sais pas toujours si mes élèves sont « musulmans », ou bien athées, ou bien chrétiens, juifs, etc. Je n'ai en tous cas pas le droit de le leur demander. Par ailleurs, je lui explique que la loi autorise les élèves, sur leur initiative propre, à parler de leur religion et que donc oui, en effet, en vingt-cinq ans de carrière, j'avais eu un grand nombre d'élèves se définissant eux-mêmes comme « musulmans ». Ceci dit, lui dis-je, je n'ai jamais noté que je rencontrais avec ces élèves des « difficultés » spécifiques.

Elle insiste. Mais quand même, les élèves musulmans ne contestent-ils pas vos certains de vos cours ?

Je lui réponds qu'il faudrait tout d'abord s'entendre sur ce qu'on entend par « contestation de cours ». Des élèves se disant musulmans m'ont-ils déjà dit « la science se trompe, ce n'est pas le Big Bang qui est à l'origine de l'Univers, mais la volonté de Dieu » ? Ou bien « Darwin s'est trompé, c'est Dieu qui a créé l'être humain, à Son image » ? Oui, c'est arrivé (également, d'ailleurs, avec des élèves se réclamant du christianisme). J'explique alors à la journaliste que ces propos relèvent plus de l' « erreur » que de la « contestation ». En effet, les élèves comparent et hiérarchisent des types de discours qui ne sont pas de même nature. Par exemple, la science ne se prononce pas sur l'existence ou l'inexistence de la « volonté divine », puisqu'elle ne peut faire de cette dernière un objet d'observation, de modélisation, de mesure, de théorisation. A l'inverse, rien dans la Bible ou le Coran, sauf si on en fait une lecture littéraliste (ce qui est certes le cas pour certains exégètes) ne s'oppose directement aux données de la science. A ce moment de la conversation, je renvoie la journaliste à un petit texte que j'ai écrit à ce propos pour le site d'EMC de l'académie d'Aix-Marseille. Je lui précise aussi que, lorsqu'on leur explique la différence entre un discours scientifique et un discours religieux, l'immense majorité des élèves – les musulmans comme les autres – comprennent la distinction, et reconnaissent  leur confusion initiale. Et il en est de même sur la laïcité, et sur beaucoup d'autres sujets complexes. Le rôle de l'école, c'est notamment de dissiper des confusions parfois entretenues par certains réseaux sociaux, certains responsables politiques ou religieux, et certains médias.

Elle me répond alors qu'elle comprend tout à fait mes explications, mais qu'en fait, je ne correspond pas trop à ce qu'ils cherchent pour leur reportage.

Je lui réponds que c'est vraiment dommage que les téléspectateurs de BFMTV ne puissent pas entendre un discours comme le mien, qui pourrait leur donner une autre image que celle qui est souvent donnée de l'état actuel de l'école, et des « difficultés » qu'y poseraient massivement les élèves « musulmans ». Je lui explique que, quoi qu'il en soit, j'aurais refusé d'être interviewé pour le reportage (car je sais qu'ils ne retiendrons qu'une ou deux phrases qui, coupées de leur contexte, pourraient trahir mon propos) mais que je serais ravi d'être invité dans une émission de la chaîne, à condition de disposer d'au moins une dizaine de minutes, temps nécessaire pour développer un propos un tant soit peu complexe.

Elle me répond qu'elle relaiera la proposition aux responsables de la chaîne, mais qu'elle ne pense pas qu'elle sera retenue.

J'insiste. Je lui dis qu'il y a de fortes raisons de penser que les chaînes d'info continue contribuent à forger des stéréotypes négatifs en ce qui concerne l'islam et plus encore les « jeunes musulmans ». Il faudrait que les téléspectateur puissent entendre des enseignants qui, comme moi, travaillent avec des élèves de toutes origines et religions, et qui pour autant ne rencontrent pas de « problèmes » qui ne puissent être traités pédagogiquement, c'est-à-dire dans le calme et avec les outils de la pensée rationnelle.

Elle me répond finalement que non, vraiment, je n'ai pas le bon profil. Par contre, me demande-t-elle avant de raccrocher, pourriez-vous me donner les coordonnées de ceux qui, parmi vos collègues, ont des problèmes avec les élèves musulmans ?

Avant de la saluer, je lui réponds : « Madame, je fais un pronostic : si vous décidez de ne pas donner la parole aux collègues qui font les mêmes constats que moi, et que vous cherchez précisément le profil qui correspond à vos attentes, eh bien vous allez finir par le trouver.

Cela relève du biais de confirmation, tendance spontanée de l'esprit contre laquelle, justement, l'école cherche à lutter. »

Voilà, c'est ainsi que je n'ai pas été invité sur BFMTV.

 

Marc Rosmini, professeur de philosophie à Marseille.
Récit publié le 28 janvier 2022 sur Facebook

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article